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En août 2020, à la demande de son frère Olivier, Isabelle revient avec beaucoup d'appréhension dans ce village des Alpes où ils sont nés tous les deux afin de revoir son père. Ce père ancien guide de montagne est aujourd'hui octogénaire. À cette phrase prononcée par son frère, au téléphone deux mois plus tôt : "Ça serait bien que tu viennes, depuis le temps. Il faut qu'on parle de papa", elle s'est entendue dire « d'accord », pensant qu'elle était en fuite depuis trop longtemps. C'est ainsi que nous allons entrer dans l'intimité de cette famille. Olivier, lui, après avoir exercé comme kiné en ville pendant vingt ans, était revenu au village, dix ans plus tôt, à la mort de leur mère, pour être près du père. Après des années d'absence, Isabelle affligée par un deuil récent, appréhende ce retour et « ce retour, elle l'accomplit à reculons. » Elle reste marquée par l'indifférence, la rudesse et la colère de ce père destructeur, muré dans le silence, qu'elle n'a jamais pu approcher. Elle a pourtant tenté d'attirer son attention à plusieurs reprises, tant elle avait besoin de son regard, de son amour, mais en vain… Pour ne plus vivre avec cette tension sans fin, pour ne pas être enterrée vivante sous ses emportements, dès le Bac, elle a fui, est devenue documentariste, passionnée par le monde sous-marin. Au cœur de ce monde bleu, elle n'entendrait plus crier son père. Ce que son frère a à lui dire c'est que leur père, s'il est toujours en excellente forme physique a la maladie de l'oubli, sa mémoire commence à lâcher. Isabelle restera quatre jours et c'est elle qui, en s'adressant au père sera la narratrice. Vont s'entremêler passé et présent. Passé avec l'évocation de ses souvenirs d'enfant blessée et présent avec l'altération de la mémoire paternelle. Sa voix ne sera interrompue qu'une seule fois par ce père et fera l'objet d'un chapitre. Il va enfin réussir à parler et à exprimer « ce regret, cette honte qui ne l'a jamais lâché » et raconter « la seule fois où il a eu froid la nuit, c'était là-bas ». Gaëlle Josse laissera la parole au frère pour le dernier, celui de la conclusion. J'ai été bouleversée par cette histoire familiale, par la colère de cette gamine en soif d'amour paternel qui se heurte perpétuellement soit au silence de son père soit à ses emportements. L'histoire du vélo rouge ou celle du sacrifice des belles mèches brunes m'ont profondément remuée. Gaëlle Josse réussit avec beaucoup de pudeur de sobriété et de poésie à évoquer cette terrible maladie d'Alzheimer, qu'elle préfère nommer avec beaucoup de tact et d'exactitude la maladie de l'oubli. Avec la prise de parole du père, c'est un moment extrêmement fort que nous donne à vivre l'auteure. Un seul chapitre résume à lui seul un sombre épisode de l'histoire de France avec ce qu'ont pu vivre ces jeunes arrachés parfois à leurs études et envoyés en mission de pacification pour ce qu'on a toujours appelé « les évènements ». Ce sera grâce à cette confession inespérée qu'Isabelle et Olivier vont enfin trouver l'amour de leur père. C'est avec justesse, délicatesse, beaucoup de sensibilité et d'humanité que Gaëlle Josse dépeint les relations entre les membres de cette famille meurtrie et comment peu à peu ces ultimes retrouvailles vont réussir à adoucir cette tension. La nuit des pères de Gaëlle Josse, est un livre poignant qui m'a emportée dès les premières pages et que je qualifierais de long chemin vers l'apaisement. J'ai été ravie de découvrir le talent de cette auteure déjà récompensée par de grands prix pour ses ouvrages antérieurs. Source: auteur anonyme Babelio

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